Les croisades

Publié le par thierry aprile

L'étude des croisades (le terme ne se diffuse pas avant le XIIIe siècle) s'inscrit dans le cadre des dynamiques géopolitiques : des flux (ici essentiellement militaires à l'origine) modifient la configuration des régions émettrices et réceptrices de ces flux. 

 

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source blog d'un historien canadien : http://carlpepin.com

 

Les croisades : « des pélerinages armés prêchés par le Pape » (Jean Fiori, article Wikipédia).

1.    l'objectif des croisades est la reprise du contrôle par les chrétiens latins des lieux saints de Palestine, et notamment du tombeau du Christ (Saint Sépulcre) à Jérusalem.
    On peut observer sur les 2 cartes (carte 1 et carte 2) les itinéraires des 8 croisades entre 1095 et 1270. On pourra remarquer que la 4e croisade s'est arrêtée à Constantinople, avec le sac de la ville par les croisés, et que la 8e croisade s'est arrêtée à Tunis avec la mort du roi Louis IX (futur Saint-Louis).
    Le modèle de ces croisades a été fourni par la 1ère croisade, et le prêche de la croisade par le pape Urbain II au concile de Clermont en 1095 ("prendre la route du Saint Sépulcre et arracher la Terre Sainte à la nation impie"). Elles concernent essentiellement des Rois et des chevaliers, et prennent la forme d'expéditions militaires de conquête.
    Les raisons sont politiques :
    - récupération du contrôle politique des lieux saints
    - demande d'aide de l'empereur de Byzance face à l'avancée des Turcs seldjoukides vers l'Ouest. Une ambassade diligentée par l'Empereur (basileus) Alexis Comnène en mars 1095 sollicite "un secours contre les païens et pour la défense de la Sainte Eglise"
    - renforcer l'autorité du pape sur la chrétienté et sa capacité à détourner la violence des chevaliers vers les marges de la chrétienté
    et religieuses
    - une prétendue hostilité des musulmans (en réalité problématique, en tout cas jamais systématique)
    - la « guerre juste » (symétrique du « djihad » musulman) a été définie par St Augustin au IVe siècle. Elle est définie par l'Eglise comme une pénitence, à l'égale de l'aumône ou du pélerinage.

 

2.    L'objectif est bien la Palestine. Dans un premier temps, des Etats latins sont créés, avant d'être reconquis par Saladin. Très partielement reconstitués, ils n'ont eu qu'une existence relativement éphémère, entre la prise de Jerusalem en 1099 et la chute de St Jean d'Acre en 1291. Voir la carte des Etats latins.
    On peut y ajouter d'autres territoires conquis ou reconquis, dans le cadre d'une expansion générale de la chrétienté occidentale, notamment en Espagne (Reconquista qui s'achève en 1492 avec la chute du royaume de Grenade) et dans les pays baltes (chevaliers teutoniques). On peut saisir par la comparaison de deux cartes (tirées du livre de Jacques LeGoff, La Civilisation de l'occident médiéval, 1ère édition, 1977) la profonde modification géopolitique qui a concerné l'Europe occidentale entre destruction de l'Empire romain d'Occident d'une part et phase d'expansion d'autre part.
    Les croisades n'opposent pas seulement le monde chrétien latin et le monde musulman, chacun en expansion. L'Empire byzantin, héritier de l'Empire romain d'Orient (capitale Byzance – Constantinople) issu du partage de l'Empire romain de 395 qui contrôlait autrefois la Palestine et au delà tout l'Orient romain entame un long déclin qui s'achève avec sa disparition en 1453 avec la prise de Constantinople par les Turcs en 1453. Paradoxalement, ce monde chrétien grec, séparé du monde chrétien latin depuis le schisme de 1054 (division catholiques à l'Ouest / orthodoxes à l'Est), est aussi affaibli par les croisades. La 4e croisade détournée par les Vénitiens à Constantinople, car ils y voient le moyen d'affaiblir leur rival dans le contrôle de la Méditerranée orientale en 1204 et qui s'achève par le sac de la ville par les croisés latins, est une rupture majeure entre les deux chrétientés.

 

3.    Les conséquences des croisades sont multiples
    - au plan militaire, l'échec des conquêtes latines, modifie les façons de faire la guerre (armement, tactique...) et provoque la création d'ordres religieux militaires qui unissent chevalerie, vie monastique et idéal de la guerre sainte (Templiers, Hospitaliers, Teutoniques...) riches et puissants.
    - au plan politique : l'hostilité entre chrétiens grecs et latins est à son comble. Jusqu'à la Renaissance, l'objectif des Papes a été de renouer le dialogue avec les Grecs orthodoxes.
    - pour l'Occident chrétien, les croisades ont été une étape essentielle de la christianisation et de l'alliance (conflictuelle) entre le Pape et les Souverains, les chevaliers ( et quelquefois) la population autour d'objectifs communs, la défense de la chrétienté contre les infidèles, bientôt utilisée contre les infidèles (juifs, musulmans, cathares et hérétiques de toute sorte) à l'intérieur même de la chrétienté.

    - l'essentiel réside bien néanmoins dans le contact entre chrétiens et musulmans qui a eu des conséquences :

économiques les échanges entre marchands chrétiens et musulmans relient désormais l'axe majeur qui joint Bruges-Mer du Nord et Baltique à la Méditerranée (avec les foires de Champagne comme épicentre) avec les flux de marchandise venues d'Asie et d'Afrique. Les bénéficiaires de ce commerce élargi sont les commerçants des Républiques italiennes Gênes et surtout Venise, les commerçants marseillais et catalans dans une moindre mesure

intellectuelles et culturelles (l'Andalousie, l'Algarve et la Sicile sont les points de contact privilégiés).

    - la découverte du monde musulman, sa proximité avec le monde des religions du Livre (juifs et chrétiens), mais aussi son étrangeté radicale.

Peut-on parler d’une civilisation islamique ?
La constitution de l'aire de civilisation islamique s'inscrit dans la longue durée. La prédication muhammadienne peut être considérée à la fois comme une continuité par rapport au milieu qui l'a vu naître, et aussi comme une rupture, par l'inflexion qu'elle va donner aux sociétés et aux cultures et par l'unification politique que des princes musulmans vont réaliser en son nom, de territoires appartenant à des aires culturelles différentes. La nouvelle religion monothéiste se développe donc, comme l'a bien rappelé Fernand Braudel, à un carrefour commercial et culturel, entre trois continents et deux ensembles maritimes, et elle fusionne les différents héritages de ces espaces très différents pour donner naissance à une civilisation originale. Le rapport que les nouveaux pouvoirs musulmans entretiennent avec les empires, voisins contemporains ou passés, n'est pas seulement d'opposition, c'est un rapport d'échange, de dialogue et de transmission. En outre, les études anthropologiques récentes insistent sur l'influence des structures sociales, tribales et familiales, en particulier de l'endogamie et du nomadisme, sur la constitution des caractères généraux de la nouvelle civilisation. L'expansion rapide de l'islam sur des territoires variés n'a pas pour conséquence l'uniformisation des espaces, mais au contraire, grâce à la malléabilité de la nouvelle organisation, la diversité et la richesse dans un ensemble, de la péninsule Ibérique à la Chine, qui possède une certaine unité, déterminée par l'importance du fait urbain, par le rôle de la langue arabe, des marchands ou des savants.

In Géo-histoire de l’Islam, Pascal Buresi, Belin-sup histoire, 2005. Introduction du chapitre 2.

NB ce texte présente l'immense avantage de ne pas commencer la présentation de la civilisation musulmane par la religion.

Publié dans M1 HISTOIRE

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